Mais ça ne fonctionnera pas, c’est clair que non. J’avais même prévu de faire une entête sérieuse, avec toutes les informations sur la pièce…enfin bref. C’est presque la fin de session, je n’ai même pas pu assister au cours de cet après-midi parce que je travaillais – trancher du jambon cuit, c’est tellement plus gratifiant qu’aller à l’université…enfin, enfin. Ce n’est pas le propos de ce – déjà! – dernier message blog de la session d’automne 2010.

J’ai décidé d’aller voir Noces de sang,  présentée sur la scène principale du théâtre Prospero du 16 novembre au 4 décembre 2010 parce que je ne voulais pas aller voir Dieu du carnage au TNM et c’était la seule autre pièce disponible.  J’ai un kick sur le théâtre Prospero habituellement, mais de moins en moins – Norway Today m’a  beaucoup déçu (voir l’article de Roxane à ce propos).

Après avoir survolé le site de la compagnie Caméra Obscura, initiatrice du Projet Tryptique Lorca, j’ai été grandement enthousiasmée. En effet, les créateurs de Noces de sang – de même que les acteurs – sont tous des finissants de l’École Supérieur de Théâtre, finissants de notre baccalauréat, issue de notre formation académique. Ça mérite le coup d’oeil, juste pour ça. Avec au sein des acteurs Alain Fournier, le directeur de notre programme, et Patrice Tremblay à la mise en scène, qui est également professeur au sein du baccalauréat – si je me trompe pas.

On connaît tous l’apport de Lorca à la dramaturgie mondiale, on sait tous aussi que parfois, certaines pièces vieillissent mal. D’où l’intérêt de l’adaptation contemporaine, à laquelle Amélie Hébert et Éloïsa Cervantes ont soumis le texte original de Lorca…une entreprise qui a plus ou moins fonctionné, mais nous en reparlerons plus tard. Force est toutefois d’admettre qu’en utilisant une telle technique, cela concorde avec la mission de Caméra Obscura : se consacrer à l’interprétation d’œuvres contemporaines et travailler la pluridisciplinarité au sein de leurs créations théâtrales.

Par où commencer ?

Noces de Sang est l’une des pièces capitales de l’œuvre de l’auteur espagnol, d’abord connu pour ses fresques poétiques. Il l’écrit alors qu’il vient de se faire nommer directeur de la société de théâtre étudiante subventionnée, La Barraca, qui avait pour mission de faire des tournées dans les provinces rurales pour ouvrir les yeux aux habitants sur le répertoire classique théâtral. Lorca s’inspire alors de ces régions d’Espagne dans son travail, tel l’Andalousie, d’où l’appellation «paysan» qu’on appose souvent à son théâtre. À cette époque, par sa manière de confronter le mariage (la raison) à la passion, sa pièce avait un propos révolutionnaire – un peu trop révolutionnaire même, puisque Lorca sera assassiné par des extrémistes de droite qui dénonçait ses propos trop libertins.

On parle de Noces de Sang comme d’une tragédie espagnole contemporaine teintée d’éléments surréalistes et aux personnages passionnés. Lorca souhaite faire de son théâtre un «théâtre du peuple», dans lequel les hommes seraient confrontés à la fois à la société dans laquelle ils vivent mais aussi au destin implacable auquel ils sont soumis. Par ailleurs, petite anecdote au passage, on associe Lorca au surréalisme parce qu’il était très proche du célèbre Dali. En fait, pour être potineuse à souhait, il était complètement amoureux de Dali. Il se serait inspiré des sentiments qu’il avait à l’égard du peintre pour composer ses pièces passionnées – ce qui n’était pas très accepté non plus pour l’époque…

La représentation que nous avons vu était une des dernières, nous avons donc assumé que le rythme de la pièce devait forcément être rodé et les acteurs être habitués à rouler celle-ci – dans une perspective d’avoir une bonne vision globale de la pièce, ainsi que pour savoir si l’objectif initial avait été atteint ou pas.

À la suite de cette heure et demie – qui m’a paru, à quelques moments, interminable –  j’ai pour ma part conclut que la pièce, malgré toutes les bonnes intentions des créateurs, il y a quelque chose qui ne fonctionne pas avec cette adaptation de Noces de sang. Je vais tenter dans cette analyse de déterminer ce qui, à l’aide d’un extrait de la représentation, a cloché.

J’ai choisi la scène initiale de la pièce parce qu’à mes yeux, elle est à la fois déterminante, tant pour la suite de l’action et tant pour illustrer tous les éléments qui font en sorte que la représentation ne fonctionne pas. On voit la mère du fiancé qui lui tend un couteau et qui lui reproche de vouloir aller en ville. Comme c’est le début de la pièce, on s’attend à voir les assises de l’action. Le dialogue, presque blanc, laisse une grande liberté aux créateurs pour orienter dès le départ la tournure de la pièce.

C’est ce qu’ils font d’emblée : le fils, au lieu d’écouter sa mère, court de long en large de la scène, prend appuie contre les murs, se démène littéralement pour ne pas prêter une attention spécifique aux mises en garde de cette dernière. Les propos très poétiques de l’adaptation sont perdus dans le flot de mouvements, et nous sommes légèrement essoufflés par tant d’actions qui nous déconcentrent légèrement. C’est malheureusement ce qui se produira tout au long de la représentation.

(À date, je réussis bien à faire une analyse sérieuse, non ? Je suis plutôt contente de ma performance…mais ça aurait pu être mieux. Enfin. Continuons.)

Un des seuls accessoires de la pièce est présenté également dans cette séquence : le couteau, qui passe – malheureusement – presque inaperçu tout au long de la représentation, perdu dans l’explosion d’informations scéniques. La tulle de fond, qu’ils utiliseront à profusion durant la pièce, passe elle aussi inaperçue. Le tourbillon d’action masque les éléments scéniques importants : la scène épurée, l’absence de décors – en comparaison avec l’omniprésence des comédiens et de leur jeu très corporel. C’est ce qu’on nous plaque dès le début. La poésie alourdit l’atmosphère, la scénographie ne s’accorde pas bien avec ces deux tangentes (un texte lyrique, un jeu physique de danse-théâtre et de chorégraphies).

C’est probablement ça, le problème majeur de la pièce.

L’adaptation textuelle, avec les phrases clés, les phrases assez fortes, se perd dans le jeu très plaqué des comédiens. On semble toujours divisé entre favoriser le texte et d’autres procédés théâtraux. En tant que spectateurs, on se sent presque pris par la main : «venez, venez explorer avec nous un univers surréaliste et difficile à digérer ! Nous, nous, nous avons compris. Allez, vous allez comprendre aussi.»

Je sais que je verse toujours dans le commentaire, dans l’anecdote, dans le personnel, dans le subjectif. Je crois que je n’ai pas compris l’objectif du cours. J’ai adoré voir les pièces, écrire sur celles-ci, discuté avec les autres, confronter mes idées et mes perceptions. Je ne sais pas. Je ne suis peut-être pas assez profonde comme personne pour être capable d’analyser froidement une pièce sur des bases rhétoriques et sérieuses. J’accroche sur des pièces qui me bouleversent, qui m’attrapent en plein coeur, qui me tordent. J’aime être tordue. C’est ce qui a de mieux, au théâtre. Se sentir complètement happée par un texte, des mouvements, des humains, eux aussi. Des humains devant moi, qui vivent, qui ressentent des choses…

Il est vingt-heures quarante-cinq. Ma session se termine sur la fin de ce message. Le sort en est probablement jeté, je ne crois pas avoir une bonne note. Il faut croire que ce n’est pas si important, au final. Ce que je retire au niveau créatif et personnel de ce cours m’importe davantage que la lettre qui y sera associée.