Je m’étais dit que je ferais une véritable analyse.

Je veux dire, avec la méthodologie de travail. Suivre les consignes, les feuilles, les grilles.

J’étais fébrile, avant le spectacle. Déterminée à me surpasser. C’est que j’adore les blogs, voyez-vous, et je m’amuse beaucoup ici.

Et même si j’ai grommelé un peu, je trouvais les grands ados un peu tout croches un peu impolis presque attendrissants en entrant au théâtre. Après tout, on a tous déjà été dans cette situation-là. Je me disais, naïvement, que cette pièce allait peut-être faire naître chez quelques jeunes le désir flamboyant de poursuivre une carrière dans le domaine du jeu, de la mise en scène, que j’étais peut-être en présence de futurs étudiants de l’École Supérieure qui s’ignoraient – mais plus pour longtemps.

Bouteille d’eau à la main, le ventre plein de sushis, la lecture du programme achevée, je jubilais. Cela allait être une excellente soirée, je n’en doutais pas une seconde.

J’avais tort.

Et je déteste avoir tort, surtout au théâtre. Je déteste être déçue.

Mais ça allait au-delà de la déception, je pense. D’abord, la surprise. What the hell…

Ensuite, la consternation. Impossible. Ils ne peuvent pas être sérieux.

Puis, la révolte. C’est carrément une insulte à notre intelligence.

Et la recherche d’approbation des pairs.« Est-ce que…hum, tu aimes ça ? » « Non, si c’était pas pour le cours, je partirais. » « Ahhh, fiou! »

Et l’attente. L’interminable attente. Le regard mauvais aux ados-pu-si-cutes qui se frenchent bruyamment derrière. Dans la catégorie « Come on, la pièce est déjà insupportable, mâche de la gomme à la place ! » , on ne fait pas mieux.

Les pensées qui vagabondent. Je préparais mentalement mon message-blog. Je regardais l’heure aux cinq minutes. Mon regard errait vers la porte salvatrice. Plus que douze minutes…douze minutes…

Allons-y dans le concret.

Qu’est-ce qui ne fonctionnait pas avec cette version de « Jeux de massacre » ?

Beaucoup de choses.

En vrac,

-> Costumes aberrants. Des perruques sans doute achetées en solde hier, pour cause de liquidation du stock d’Halloween. Des costumes n’ayant aucun lien entre eux, pas – ou peu – de symboliques.

-> 1hrs40 de cris. De hurlements. De gémissements. 1hrs40 à perdre trois mots sur cinq parce que ça gueule, ça crie, ça s’arrache les poumons et la gorge. Entendons-nous. RIEN ne justifie une telle approche….sauf la maladresse. Je me serais boucher les oreilles sans problème. Des moments forts de la pièce étaient gâchés par les cris des comédiens. Un peu de retenue, un peu de profondeur ! Oui, c’est Ionesco, le théâtre de l’absurde, youppi youppi, mais ça n’empêche pas les personnages d’être humains. Comme il s’agit de la dernière pièce de l’auteur, les personnages sont forcément plus achevés que ceux des premières créations, ils ont des caractères plus étoffés – même si cela peut être dur, j’en consens, à développer en très peu de temps durant les courts sketchs, à asseoir ces nombreux personnages qui en font partie.

-> Musique qui n’appuie la pièce. Tout est dit dans l’intro du point.

-> Décors ridicules. Probablement en carton. Chambranlants. L’idée était à la base bonne, de créer un décor pouvant être manipuler, facilitant les entrées et les sorties innombrables des comédiens. Pourquoi des triangles ? Pourquoi la couleur beige-papier-de-construction-jaunie ? Je n’en sais rien.

-> Justesse du jeu…absente. Aucune justesse. On relève la performance de Marc-André Leclair, dans le rôle du maire/de la mort. On remercie sa présence scénique, son monologue amusant et la manière claire et honnête dont il rêvet ses personnages. On apprécie également sa voix grave et unique, et son faciès déroutant…même s’il me fut très difficile d’oublier qu’il travaille en talons hauts Chez Mado comme night job et de croire entièrement à son personnage.

-> Présence importante de cliché. Come on. La mort personnifiée par quelqu’un d’élégant alors que le reste des personnages jouent les pauvres. La mort clinquante, qui dit POW quand quelqu’un meurt. C’est déjà-vu, surutilisé, pu possible…à moins d’être fait avec une finesse rigoureuse et presque divine. Ce ne fut pas le cas. Les blagues grivoises à la je-touche-tes-fesses-pour-vérifier-si-ton-coeur-bat, les gags gratuits, un peu plus quelqu’un faisait tomber une pelure de bananes pour s’assurer du climax de l’histoire.

-> Les longueurs interminables. On aurait pu couper après une heure et des poussières, évitant ainsi le massacre total et complet de la pièce.

-> Le manque de jugement flagrant. Quel metteur en scène voit son spectacle se construire, se modeler, progresser, et ne perçoit pas toutes les failles pourtant tellement évidentes ? Durant la scène insupportable des scientifiques, je me suis réellement demandée s’il y avait quelqu’un pour regarder ça et se dire, wow, parfait, j’ai atteint un niveau artistique encore jamais égalé.

-> Le phénomène du «prof de Cégep». Je m’explique. Je comprends très bien qu’il soit dur, très dur même, au Québec, d’élever une famile, de payer des comptes, d’assurer son avenir en reposant uniquement sur le théâtre dans sa forme création, troupes et pièces professionnelles. Je suis même envieuse de ces gens qui arrivent à concilier un travail dans un établissement collégial avec leur passion, un day job. C’est parfait, sérieusement. J’y songe aussi. Bref. Pourquoi, bien souvent, trop souvent, les pièces qu’ils montent par la suite hors de leur Cégep ressemblent TOUTES à des productions faites pour des étudiants ?! Pourquoi la recherche esthétique/scénique/dramaturgique se résume trop souvent à … rien, ou si peu. Je ne saurais pas expliquer le désir, l’intention derrière la représentation que j’ai vu ce soir. Aucune recherche, aucune attention particulière, une pièce dénudée de sens. Une collègue me dit, oh tu sais, ils ont eu une demande pour monter ça, du Ionesco ! Ils sont sold-out ! Justement. C’est le sentiment qui se dégage de cette pièce. Faire du théâtre pour faire du théâtre, sans prétexte, sans raison, sans motivation, sans intention. Oui, c’est Ionesco. Oui, on ne monte pas Ionesco pour des raisons aussi profondes qu’on monte encore aujourd’hui Shakespeare. Mais pour l’amour du Ciel, peut-on monter Ionesco pour des raisons artistiques et pas seulement parce que ça fera remplir les salles d’écoles secondaires ? Je serais très curieuse d’entendre la justification des concepteurs du spectacle à ce propos.